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La boucle impossible / le projet

publié le mercredi 2 novembre 2022


"Je suis un désert qui monologue."
Violette Leduc, lettre à Simone de Beauvoir du 17 mai 1956

Naissance et vie de Dita Kepler

Peut-on, lorsqu’on se sent perdu.e, s’identifier au paysage ? Peut-on, par ailleurs, utiliser les voix, les œuvres des autres pour trouver ce qui, en soi, ne réussit pas à se dire ?
À ces questions, Anne Savelli a répondu en créant Dita Kepler, un personnage inadapté qui cherche à s’intégrer au monde en se fondant, littéralement, dans le décor. Dita Kepler est un avatar, au sens premier du terme (elle incarne la transformation, la mutation) mais également au sens contemporain : née de la plateforme en ligne Second Life, elle n’a cessé, depuis 2009, d’utiliser ses caractéristiques de personnage de jeu vidéo (voler, se métamorphoser, devenir invisible...) pour progresser dans des lieux réels.
C’est ainsi qu’elle s’est inspirée des découvertes picturales du XVIe siècle pour s’anarmorphoser à Marseille, ville multiple, complexe (Anamarseilles, La Marelle). En 2013, elle a survolé le lac de Grand-Lieu comme un avion ou un oiseau pour tenter d’en faire le tour (Île ronde, déchirure/tempête, éditions joca seria, 2014). Aux dernières nouvelles, dans À travers Champs, récit coécrit avec Joachim Séné, paru en 2019, elle nichait dans les cabanes du plasticien Tadashi Kawamata sur le campus de Champs-sur-Marne, vigie invisible de la vie universitaire.

À l’écoute du monde

Depuis quelques années, en effet, lorsqu’elle se trouve dans un lieu nouveau, Dita Kepler porte une attention particulière aux voix alentours : celles des personnages de légende dans Île ronde, celles d’habitants et d’étudiants dans À travers Champs1. Cependant, comme Violette Leduc l’écrivait à Simone de Beauvoir en se plaignant de n’être jamais entendue, elle ne réussit pas à entrer en communication avec ceux qu’elle rencontre. Elle n’est, toujours, elle aussi, qu’un désert qui monologue.
Depuis le temps, on pourrait dire qu’elle ne tourne pas rond. Ou qu’elle tourne en rond dans un cercle qu’elle dessine et ne cesse de déplacer, dans une boucle qu’elle ne peut rompre seule. Pourrait-on l’aider à quitter l’hermétisme dans lequel elle est enfermée ? Peut-on briser le charme ?

(R)établir la connexion

Tel est justement le défi de La Boucle impossible, livre construit dans un triple dialogue : dialogue, tout à fait concret, entre Anne Savelli et Joachim Séné pour comprendre qui est au juste Dita Kepler, d’où elle vient et s’il est possible, pour un lecteur ou une lectrice, de s’identifier à elle ; dialogue entre Dita Kepler et les œuvres créées autour du lac de Grand-Lieu par les artistes en résidence depuis vingt ans ; dialogue, enfin, avec un public potentiel grâce à un feuilleton sur les réseaux sociaux né du texte produit par AS et JS, le tout à partir de cette question : ne nous arrive-t-il jamais, à nous aussi, de nous sentir inadaptés au monde qui nous entoure ?
Si Dita Kepler est un personnage inventé par Anne Savelli, il faut savoir que depuis le début, elle est régulièrement « investie » par d’autres auteurs et artistes2. Que ce dialogue entre DK, personnage quasi-collectif, les artistes et leurs œuvres poursuive aujourd’hui sa route n’a rien d’étonnant.
Il est moins étonnant encore que Joachim Séné soit invité à œuvrer à la forme dialoguée que va prendre La Boucle impossible : informaticien et écrivain, il a codé en 2013 le journal du silence, journal de la lutte de Dita Kepler, une série de tweets devenu poème animé ; il a ensuite prêté sa « voix » à l’un des personnages de Île ronde ; il a, enfin, co-écrit À travers Champs avec Anne Savelli. C’est sans doute l’auteur qui connaît le mieux Dita Kepler et ses métamorphoses. Il ne s’en laissera pas conter !

Un texte et un feuilleton sur les réseaux sociaux

Concrètement, le texte écrit à quatre mains alternera par blocs entre essai et fiction, entre dialogue autour de la création d’un personnage et avancée de ce personnage lui-même, Dita Kepler réagissant aux œuvres qu’elle découvre.
Le feuilleton sur les réseaux sociaux, lui, reprendra l’essentiel des questions posées et, grâce à une série de liens vers la base de données, dessinera au fil du temps un portrait sensible du lac de Grand-Lieu. Hors de portée, le lac de Grand- Lieu, trop secret, trop caché ? Qui sait ? S’il n’est géographiquement pas concevable d’en faire le tour, du moins les œuvres des artistes peuvent-elles, nous l’espérons, lui donner de nouveaux accès.

1 Voir les entretiens conduits avec les habitants enregistrés dans la maquette interactive réalisée par l’université Gustave Eiffel https://maquetteurbaine.lvmt.fr/
2 Outre Joachim Séné, Dita Kepler a été « investie » par l’écrivain Pierre Ménard (création du compte Twitter @ditakepler) ; par le romancier Thierry Beinstingel (dialogue autour de l’influence du numérique sur le travail d’écriture pour remue.) et par la plasticienne Lya Garcia lors d’une lecture performance à la Bellevilloise, à Paris.