La coupe bleue

Par Arnaud de la Cotte

La difficulté pour Carbonnet est d’intervenir dans un lieu qui n’est pas conçu pour recevoir une exposition d’art et dont la force architecturale, religieuse et historique est quelque peu écrasante… Pour accompagner le visiteur dans la découverte du lieu, l’artiste a choisi de concevoir un parcours. Cela évite une confrontation trop brutale entre les œuvres et le lieu qui aurait risqué de perturber le visiteur et de créer des malentendus. Nous pouvons dire que l’artiste s’est fait scénographe. L’idée du parcours vient également de l’histoire : celui des moines qui transportèrent le sarcophage de Saint-Philibert de l’île de Noirmoutier à Déas ; celui des pèlerins qui venaient en foules se recueillir sur le sarcophage serti dans l’église Abbatiale ; celui du touriste actuel qui suit le circuit balisé…

On peut également évoquer la notion de déplacement, le tombeau, le lac qui se déplacent en restant toujours au même endroit ?… Nous retrouverons l’idée du glissement et de l’immobilité dans la proposition de Paul-Armand Gette. L’enjeu supplémentaire était d’évoquer la présence du lac de Grand-Lieu. A cette époque, Carbonnet travaillait sur le motif du ciel. Comment représenter une image fixe du ciel qui est toujours en mouvement, en déplacement ?

Dans le tableau ci-dessus, Bruno Carbonnet, (Ciel, 2000, Huile sur toile, 58 x 42 cm) le bleu du ciel renvoie au bleu de la robe de Marie.

« Les peintres comme aussi les sculpteurs religieux, depuis le haut Moyen Âge, utilisent pour colorer la robe de la Vierge Marie la couleur dite bleue mariale, laquelle n’est autre que la couleur du ciel, en version plus « intense ». [1] »
Le bleu, renvoie également à la couleur du lac, à l’image du lac. Nous pourrions développer cet aspect, mais nous ne pouvons pas le faire dans le cadre de ce travail.
L’artiste travaille sur le mystère, sur la part de l’inconnu, rendre visible, entrevoir. « La question de la coupe, comme lien physique établi par la perception entre l’œil et l’objet, articule l’essentiel des travaux de Carbonnet. » écrit Catherine Strasser [2].
En reliant ces deux idées, nous avancerons la proposition de « coupe bleue » pour caractériser le travail de Carbonnet à Grand-Lieu. (La coupe est peut-être la coupure, elle peut aussi être le vase qui contient le lac.)
Cette question peut s’appliquer au lac, visible et invisible (voilé), intouchable car protégé. Elle renvoie à la question de la limite (à ne pas franchir : Réserve naturelle) (des eaux en hiver et en été, une seule longue marée qui dure un an)… Le visiteur pour ne pas dire le touriste qui arrive à Grand-Lieu est comme l’artiste confronté à cela. L’artiste joue avec les lignes, celles de la carte de géographie, des niveaux du sol, niveau de l’eau, de l’horizon. Il peut alors fournir une clé pour décoder le lieu.

Michel de Certeau évoque la notion de coupure lorsqu’il analyse la situation du voyageur immobile dans le wagon de train « entre l’immobilité du dedans et celle du dehors, un quiproquo s’introduit, mince rasoir qui inverse les stabilités. Le chiasme est effectué par la vitre et par le rail… la vitre est ce qui permet de voir et le rail ce qui permet de traverser. Ce sont deux modes complémentaires de séparation. L’un crée la distance du spectateur : tu ne toucheras pas ; plus tu vois, moins tu tiens… L’autre trace indéfiniment l’injonction de passer. [3] »

Nous retrouverons cette notion de mise à distance, la question du toucher et du regard dans les travaux des autres artistes qui ont résidé à Grand-Lieu.