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Le projet de résidence : d’un marais à l’autre
publié le mercredi 8 juin 2016
D’un marais à l’autre, d’un pays à l’autre, le travail de l’homme.
Le lac de Grand-Lieu échappe au regard, à cause du sol plat et de la végétation-barrière qui le cache. Il est difficile d’en faire le tour, ses rives fluctuent selon les saisons et les tempêtes. Le lac est insaisissable, et ses roselières, ses forêts flottantes reposant sur la vase, ses clairières aquatiques, sont des supports instables pour le pied ferme du marcheur.
Mais au bord du lac, les hommes ont essayé de mettre la main sur la paysage. Le marais est artificiel, en grande partie dessiné par l’activité humaine depuis le 18ème siècle, et pourtant soumis à la loi de l’hydraulique. Ce travail de l’homme à saisir l’eau, à drainer les terres, est au cœur de mes recherches actuelles : depuis le début de l’année 2013, je suis engagée dans l’écriture d’une trilogie romanesque sur la relation de l’eau et de l’homme, du naturel et du bâti, de la violence des flux et celle des rives qui les encerclent. Le premier volume, intitulé Ligne & Fils (POL, février 2015) interroge les sources, rivières et moulinages. J’envisage deux autres volumes, sur lesquels j’ai déjà commencé à travailler, l’un traitant des lacs de barrage et de l’ennoyage de régions (villages, terres agricoles, hameaux), et l’autre ayant pour sujet les fleuves, estuaires, mers, océans, marées et marais. À Grand-Lieu, je voudrais essayer d’approcher le subtil équilibre de gestion de l’eau : évacuer le trop plein en temps de crue, garder de l’eau en période d’étiage du milieu, utilisation des prairies humides, dès que le niveau de l’eau le permet, pour la pâture des bovins, ou le fauchage. Le marais est perpétuellement en équilibre instable. Et c’est l’homme qui en assure l’équilibre. Le marais n’est pas un espace linéaire, il n’est même pas une juxtaposition de cours d’eau, il est un organisme complexe, tridimensionnel, dont les canaux, c’est-à-dire le travail de l’homme, assurent le maintien. Mais ce subtil équilibre est parfois mis à mal, et je songe à la vallée de Hula. Car un lieu nous amène, nous, écrivains, à d’autres.
Après la création de l’Etat d’Israël en 1948, la vallée de Hula, une région marécageuse de la vallée du Jourdain, en haute Galilée, a été asséchée afin d’aménager les marais existants en régions agricoles. Les écologistes et les scientifiques, inquiets de ces mesures qui risquaient de bouleverser l’écosystème, ont milité pour conserver une partie de cette zone et l’aménager en réserve naturelle. En 1964, la première réserve naturelle d’Israël voyait le jour. Mais l’eau s’infiltrait par des fissures dans les digues, sortait des frontières de la réserve et souvent, en été, le sol s’asséchait. Les engrais et pesticides utilisés sur les terres agricoles voisines altéraient la qualité de l’eau. Certaines espèces disparaissaient, il était urgent d’intervenir. En 1978, la réserve naturelle de Hula est enfin ouverte au public. Des digues ont été construites, un réservoir creusé pour récupérer de l’eau douce, on a réaménagé les marécages et mis en fonctionnement un réseau de canaux et de barrages permettant la surveillance du niveau de l’eau et le contrôle permanent de sa qualité. En 1994, une cinquantaine d’hectares sont réinondés et actuellement, la vallée de Hula, qui comprend la réserve naturelle et la zone réinondée, est l’un des sites de migration et d’hivernage les plus importants de la région.
En plus d’un temps d’écriture autour de ces recherches sur ces deux marais, de Grand-Lieu à la vallée de Hula, mon séjour au Pays de Grand-Lieu sera l’occasion pour moi de faire des lectures publiques dans les différents lieux culturels de la région, des rencontres où je pourrais dévoiler une partie de ces recherches pour la trilogie, mais aussi d’inviter des artistes dont j’apprécie le travail, ou pourquoi pas des scientifiques dont les recherchent recoupent les miennes, lors de rencontres publiques, afin d’échanger tous ensemble autour de ces tentatives d’appréhension de ces lieux, de leurs histoires, de leurs tracés, de ces paysages façonnés par l’homme.
Emmanuelle Pagano. Février 2015.